jeudi 14 juin 2018

Le Misogyne...


    

Depuis ma plus tendre enfance, je suis misogyne. Mon père me le reprochait déjà. Il était un idéaliste, à la manière de Babar Kowalsky. « Tu ne crois en rien » me répétait-il souvent. Ce qui signifiait, en bon français : «  je te somme d’adopter immédiatement et sans réserves toutes mes convictions. »

Je n’y peux rien : les femmes m’irritent. La féminité m’exaspère. Je me souviendrai toujours de ces vacances de Noël. Ma grand-mère paternelle était venue les passer avec nous. Mes parents et moi habitions une petite ville normande à l’époque (quelques mois après nous déménageâmes à cause du travail de mon père). Cette ville était une station balnéaire assez irritante, mais en-dehors de la sacro-sainte « saison » elle revêtait un linceul d’ennui et de tristesse qui ne me déplaisait pas – j’ai toujours détesté le bruit, le soleil, les vacances et les gens heureux.

J’avais onze ans et demi. Mes parents m’avaient donné une jeune sœur quelques années plus tôt et j’avais résolu de la snober. Il suffisait qu’elle s’assît près de moi pour que je change de place ; je refusais de jouer avec elle, et refusais qu’elle me parle ou qu’elle me touche. Elle passait sa journée à s’amuser avec une poupée, qu’elle avait surnommée « Olympe », en hommage à Olympe de Gouges, que nos parents admiraient. Un jour, je subtilisai la poupée et lui arrachai la tête. Quand ma sœur retrouva les morceaux, elle pleura et hurla. J’allai la trouver et lui dis que son amie Olympe avait été « exécutée sur ordre de Robespierre. » Cette plaisanterie puérile mit mon père hors de lui. Il me convoqua dans le salon et entreprit de me passer un savon, en présence de ma grand-mère.

« J’en ai vraiment assez que tu maltraites ta sœur, commença-t-il. Elle devrait être ce qui t’est le plus cher au monde. » Je trouvai pour ma part un peu étrange que l’amour devienne un devoir, et que Papa ait la naïveté de penser que ce sentiment puisse naître en moi suite à une injonction de sa part.

« Tu comprends, Monsieur a un avis sur tout, continua-t-il en me désignant à sa mère, laquelle me dévisageait avec sévérité. Monsieur ne respecte rien, Monsieur ironise, et se croit tout permis ! C’est qu’il n’est pas n’importe qui. Il ne faut pas le confondre avec les gonzesses, avec les bonnes femmes (mon père accentuait ces expressions familières pour les rendre grotesques ; il affirmait les avoir surprises dans ma bouche et croyait déceler dans mon choix de les employer une grande outrecuidance). 

- Tu sais, elles te valent bien, les bonnes femmes » me dit ma grand-mère en me toisant avec un sourire calme qui semblait dire : « regardez-moi ce petit merdeux ! » 


Extrait de mon livre Sortir ! Avant la pluie et la nuit.

Peintures

Le Baiser L'offrande à Priape L'Orgasme Le Songe d'une nuit d'été Pan et jeune homme