Depuis ma plus tendre enfance, je suis misogyne. Mon père me le reprochait déjà. Il était un idéaliste, à la manière de Babar Kowalsky. « Tu ne crois en rien » me répétait-il souvent. Ce qui signifiait, en bon français : « je te somme d’adopter immédiatement et sans réserves toutes mes convictions. »
Je
n’y peux rien : les femmes m’irritent. La féminité m’exaspère. Je me
souviendrai toujours de ces vacances de Noël. Ma grand-mère paternelle était
venue les passer avec nous. Mes parents et moi habitions une petite ville
normande à l’époque (quelques mois après nous déménageâmes à cause du travail
de mon père). Cette ville était une station balnéaire assez irritante, mais
en-dehors de la sacro-sainte « saison » elle revêtait un linceul
d’ennui et de tristesse qui ne me déplaisait pas – j’ai toujours détesté le
bruit, le soleil, les vacances et les gens heureux.
J’avais
onze ans et demi. Mes parents m’avaient donné une jeune sœur quelques années
plus tôt et j’avais résolu de la snober. Il suffisait qu’elle s’assît près de
moi pour que je change de place ; je refusais de jouer avec elle, et
refusais qu’elle me parle ou qu’elle me touche. Elle passait sa journée à
s’amuser avec une poupée, qu’elle avait surnommée « Olympe », en
hommage à Olympe de Gouges, que nos parents admiraient. Un jour, je subtilisai
la poupée et lui arrachai la tête. Quand ma sœur retrouva les morceaux, elle
pleura et hurla. J’allai la trouver et lui dis que son amie Olympe avait été
« exécutée sur ordre de Robespierre. » Cette plaisanterie puérile mit
mon père hors de lui. Il me convoqua dans le salon et entreprit de me passer un
savon, en présence de ma grand-mère.
« J’en
ai vraiment assez que tu maltraites ta sœur, commença-t-il. Elle devrait être
ce qui t’est le plus cher au monde. » Je trouvai pour ma part un peu
étrange que l’amour devienne un devoir, et que Papa ait la naïveté de penser
que ce sentiment puisse naître en moi suite à une injonction de sa part.
« Tu
comprends, Monsieur a un avis sur tout, continua-t-il en me désignant à sa
mère, laquelle me dévisageait avec sévérité. Monsieur ne respecte rien,
Monsieur ironise, et se croit tout permis ! C’est qu’il n’est pas
n’importe qui. Il ne faut pas le confondre avec les gonzesses, avec les
bonnes femmes (mon père accentuait ces expressions familières pour les
rendre grotesques ; il affirmait les avoir surprises dans ma bouche et
croyait déceler dans mon choix de les employer une grande outrecuidance).
-
Tu sais, elles te valent bien, les bonnes femmes » me dit ma grand-mère en
me toisant avec un sourire calme qui semblait dire : « regardez-moi
ce petit merdeux ! »
Extrait de mon livre Sortir ! Avant la pluie et la nuit.